Retour de colloque : des admiratrices….

Des étudiants de CY Cergy Paris Université ont rédigé des textes créatifs à la suite du colloque « Gérard Philipe, le devenir d’un mythe » qui s’est tenu à l’université et à la BnF les 2 et 3 décembre 2023.

Voici la manière dont Bruno Cappelle, du DU « écriture créative et métiers de la rédaction », nous parle des admiratrices de Gérard Philipe :

Annick et Gérard

« Oh ! toi, toi, toi… » Voilà ce que j’entendais jusqu’à présent à l’évocation de Gérard Philipe. J’entendais la voix gouailleuse de Madame Delmarre, une enseignante de français peu conventionnelle, surtout dans un lycée privé du Vieux-Lille, de surcroit dirigé par une religieuse, fut-elle en civil. J’entendais ce râle de désir, exagérément exprimé du haut de l’estrade, en position assise, tête renversée, bras écartés – les jambes aussi, dans la mesure de ce que permettait la courte jupe. Impossible cependant de me rappeler si nous étudiions Le Cid ou Ruy Blas. Les deux peut-être. Car durant l’année scolaire 1993-94, Madame Delmarre convoqua souvent la figure de Gérard Philipe face à ses élèves de seconde, et râla donc souvent devant eux, qui ne tardèrent pas à identifier là une forme de comique de répétition – notion acquise l’année précédente grâce à Molière et à l’austère Madame Rouannet. 

En arrivant dans l’amphithéâtre Simone Veil de l’université de Cergy le vendredi 2 décembre 2022 à 9h30, je savais donc déjà que Gérard Philipe avait été un comédien remarquable, du moins dans sa dimension plastique. Pour le reste, la découverte serait totale, à l’exception de l’identité de l’épouse de notre objet d’étude. Car si Madame Delmarre s’était bien gardée de nous parler de sa rivale Anne Philipe, la modeste bibliothèque parentale comprenait à l’époque un exemplaire de l’édition de poche du Temps d’un soupir – celle avec une photo de coucher de soleil sur une plage en couverture –, dont j’avais lu la rapide présentation au dos.

Samedi 3 décembre 2022, deuxième jour de grève à la SNCF. 18h30, je quitte Paris à bord d’un bus surchauffé. En route vers Lille, je ne repense ni à mes pieds gelés dans l’amphithéâtre cergyssois, ni à mon amnésie fessière sur les chaises trop dures de la salle de conférence de la pimpante BnF. Non. Je pense à Madame Delmarre. À vrai dire, j’envoie d’abord un message au groupe WhatsApp des Cappelle pour savoir si le best-seller d’Anne est toujours dans le patrimoine familial. Mais très vite, oui, je pense à Madame Delmarre. Se peut-il qu’elle ait applaudi Gérard Philipe sur scène ? Après un rapide calcul mental, je me dis qu’elle a plus sûrement vu Fanfan la Tulipe à la télévision. Et qu’elle a peut-être écouté Pierre et le Loup avec sa fille – près de 30 ans après, je n’ai pas oublié le prénom de cette dernière : Cunégonde. Quel dommage. Pas pour Cunégonde, pour sa maman. Car je ne doute pas un instant que le fonds constitué de courriers d’admiratrices et d’admirateurs compterait aujourd’hui une 76e lettre, signée Annick. Annick, c’est la mère de Cunégonde.

Ce fonds est une petite merveille. Les quelques extraits lus par Julia Gros de Gasquet déclinent d’une manière vivante et sensible les différents nuances de l’admiration que peut éprouver le public envers la vedette. J’y vois une matière extraordinaire pour un livre de voix ou une fiction documentée. Un chœur de fans, avec sa polyphonie et ses solos. Qu’en penseraient les ayants droit ? Et Olivia Rosenthal ?

Et voilà, les questions dans ma tête, en spirale. Est-ce qu’à l’heure des réseaux sociaux les artistes reçoivent encore de vrais courriers ? Les plus jeunes verbalisent-ils encore l’émotion que leur procure la création artistique ? Qui sont les idoles aujourd’hui ? Existe-t-il une star parmi les comédiennes et comédiens actuels ? L’artiste conserve-t-il les témoignages qu’il reçoit ? Tous ? Certains seulement ? Lesquels ? Pourquoi ?

Et puis Anne. Jalouse, fière, agacée, amusée ?

Gérard. Ému, étonné, inquiet, débordé ?

Ouvrir, lire, trier, répondre, archiver. Qui, quand, comment ?

Faites un exercice.

Pensez à une personnalité vivante que vous admirez.

Que lui écrivez-vous ?

Elle ne vous répondra pas. Pourquoi lui écrivez-vous quand même ?

Le bus ralentit, les lumières d’Euralille se font plus précises. J’abandonne mes questions, peut-être feront-elles un bout de chemin. J’en garde juste une avec moi. Juste une dont je sais qu’aucun colloque jamais ne voudra.

Trouvera-t-on un jour, dans les archives de la BnF, la lettre d’Annick à un certain Francis H. ?

Bruno Cappelle

                                    

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